Kikiconsomme le moins #4 – électronique et numérique

La révolution numérique pourra-t-elle sauver la planète ? C’était le rêve porté par les pionniers du web. Pour eux, la technologie paverait le chemin d’un monde plus horizontal, plus ouvert, et largement dématérialisé… Bref : une utopie progressiste issue de l’imaginaire progressiste et décroissant. D’ailleurs Fred Turner (professeur à Stanford) note que ce n’est pas un hasard si la Silicon Valley s’est implantée dans la banlieue de San Francisco, bastion de la contre-culture américaine et du mouvement hippie. Un demi-siècle plus tard, pourtant, le constat est plutôt amère.

Les effets sociétaux du web et des réseaux-sociaux sont devenus source d’inquiétude. Les inventeurs marginaux des seventies sont devenu les PDG de monopoles mondiaux comme les GAFAM. Quand aux espoirs écolos, ils ont été simplement douchés par la réalité : la dématérialisation est un leurre. Il faut énormément d’énergie pour fabriquer nos téléphones, nos ordinateurs, nos téléviseurs, sans parler des infrastructures énormes qui permettent à l’Internet d’exister… Au final, il faut plus d’énergie pour fabriquer ces appareils que pour les faire fonctionner pendant toute leur durée de vie. L’ADEME, elle, estime que 47% des gaz à effet de serre générés par le numérique sont dus aux équipements des consommateurs. C’est dire si nous avons notre part de responsabilité…

Heureusement, dans le monde de l’énergie grise tout n’est pas noir : il existe des solutions simples pour améliorer notre empreinte ! C’est ce que nous allons voir.

Le smartphone : pas si smart pour la planète…

Selon le livre blanc du gouvernement « numérique et environnement », un smartphone requiert au moins 60 métaux différents. Problème : le secteur minier est l’un des plus énergivores au monde (en plus de polluer les eaux, l’air et les sols). D’autant que les mines sont généralement exploitées dans des pays où les normes sociales et environnementales sont basses, comme la Chine et la Bolivie – deux pays où les mixes énergétiques sont dominés par le non-renouvelable (charbon pour la Chine, gaz pour la Bolivie)… La tendance des smartphone a même aggravé le problème. D’abord parce qu’un smartphone utilise deux fois plus de métaux qu’un téléphone portable ancienne génération. Mais aussi parce que les smartphones ont des durées de vie particulièrement courte : en moyenne, seulement 18 mois… En cause : les mises à jour trop fréquentes, mais aussi l’attrait de la nouveauté chaque fois qu’une nouvelle version voit le jour. Bref. Loin de dématérialiser nos vies, le numérique nous pousse à la consommation.

Certes, dans les téléphones, les métaux rares sont présents en petite quantité, mais leur alliage complexe les rend particulièrement difficiles à recycler. D’ailleurs, les consommateurs n’y mettent pas vraiment du leur puisque seulement 16% des téléphones sont collectés pour être dépollués.

Enfin, le secteur minier n’est pas seul responsable du mauvais bilan de nos smartphones ; la faute revient également à leur mode de fabrication, optimisé du point de vue fiscal et financier, mais pas du point de vue écologique. Car un même téléphone peut faire plusieurs fois le tour de la Terre avant d’arriver dans votre poche. Pour prendre un exemple banal, les minerais seront extraits dans les pays du Sud, puis acheminés en Europe où l’on fabrique les composants, puis assemblés en Asie du Sud-Est, avant d’être vendus par exemple aux Etats-Unis… Cela fait beaucoup de bateaux et d’avions pour un appareil qui se veut « smart ».

Mine à ciel ouvert

Une mine à ciel ouvert : pas vraiment champêtre comme ambiance…

L’ordinateur : impossible à rentabiliser… quoi que ?

L’ADER est une association suisse qui milite pour le développement des énergies renouvelables. Dans un rapport, elle calcule qu’un ordinateur consomme 6 275 kWh d’énergie grise lors de sa fabrication. Par comparaison, sa consommation sur 5 ans (à raison de deux heures par jour d’utilisation) représente seulement 640 kWh… Sur ce rythme, il faudrait donc utiliser votre ordinateur pendant 50 ans pour consommer autant d’électricité qu’il n’en fallut pour le produire ! Une durée de vie impossible à atteindre, d’autant qu’en général, nous changeons d’ordinateur tous les trois ou quatre ans.

Néanmoins, le journal Le Temps rappelle que les calculs définitifs sont difficiles à établir, car le digital permet aussi de supprimer certaines pollution. Une visio-conférence par exemple fera des économies de transport ; un journal en ligne fera des économies d’encre, de papier et de livraison. L’important n’est donc pas de se flageller, mais seulement de prendre conscience du fait que le numérique n’est pas 100% propre.

Electroménager : peut-on laver sa conscience plus blanc que blanc ?

On nous promettait des maisons intelligentes. Des objets connectés. Des frigos qui font les courses et des cafetières qui managent la moindre goutte d’eau. Pourtant, l’électronique de pointe ne semble pas suffire pour que la maison passive devienne la norme…

Les coûts environnementaux de fabrication et de recyclage ne sont pas indiqués sur « l’étiquette énergie » des appareils. Et pour cause. Ces coûts sont très élevés. Par exemple, pour un frigo de classe A++, l’énergie grise correspond à 7 ans d’utilisation !

Concernant les lave-linge, les informations sont rares. Sur le site canadien Energy Education (en anglais), nous avons trouvé le chiffre d’environ 1100 kWh d’énergie grise contenue dans un lave-linge canadien moyen… soit l’équivalent de 5 ans d’utilisation. Du côté des lave-vaisselle, ce n’est pas mieux, car on estime qu’un appareil de 44kg « coûte » environ 1000 kWh à fabriquer, soit autant que 770 cycles de lavage.

Ces chiffres impressionnants doivent être mis en contexte. Il faut reconnaître que d’un côté, les fabricants ont fait des efforts : nos appareils sont de moins en moins gourmands à l’usage… Néanmoins, la production tend à se déplacer dans les pays asiatiques où l’électricité est fortement carbonée. Par conséquent, la proportion d’énergie grise par rapport à l’énergie d’usage se trouve modifiée voir inversée.

cuisine moderne

Elle optimise, elle économise. Elle planifie, elle communique… Voici la cuisine moderne ! Par contre, elle pollue toujours autant…

Infrastructures réseau : le web n’est pas une abstraction.

Internet n’est pas une idée, un concept flottant… C’est au contraire un immense réseau de câbles, d’antennes, de data-centers et de satellites… Bref. C’est du solide. Et pour construire ces infrastructures, il faut de l’énergie. Beaucoup d’énergie.

Rares sont les calculs nous permettant d’avoir une idée claire de l’énergie déployée, par exemple, pour les 430 cables sous-marins en fibre-optique tranversant les océans pour acheminer les données numériques ; câbles qu’il faut produire, installer, puis entretenir… De même, le passage à la 5G implique de démonter toutes les antennes actuelles (soit environ 50 266 pylônes) pour les remplacer, tandis que les utilisateurs seront invités à changer de smartphone pour bénéficier de cette nouvelle technologie…

Un autre exemple spectaculaire nous est fourni par le projet Starlink d’Elon Musk, prévoyant de mettre en orbite 42 000 satellites autour de la Terre (devant offrir un accès Internet haut débit partout dans le monde). Mais l’entreprise ne communique jamais sur la quantité d’énergie colossale qu’il faut pour construire ces appareils, et surtout, pour les envoyer dans l’espace – car un satellite est mis en orbite avec une fusée, qui brûle nécessairement des tonnes de carburant… Au sol, ceux qui voudront bénéficier de ce réseau devront également s’équiper en antennes spéciales. Tant de féraille et de pétrole pour « le numérique » ! Pourtant, loin de dégoûter les industriels, le projet Starlink fait des émules et la concurrence (américaine et chinoise) prépare déjà ses propres satellites…

Antenne de télécommunication

Une antenne de télécommunication, comme celles utilisées pour la 4G… Bientôt à la poubelles ?

Améliorer son bilan, c’est possible !

Alors, on jette tous nos appareils à la poubelle ? On brûle nos téléphone et nos écrans plats ? Malheureux ! N’y pensez pas ! C’est tout le contraire…

Le numérique, en soi, n’est pas une malédiction. L’essentiel, pour nous, est de rester attentif à ses coûts écologiques. Les consommateurs, comme les fabricants, doivent tout faire pour allonger la durée de vie des produits. Pour nous, c’est simple, il suffit de choisir des produits durables (parfois légèrement plus chers à l’achat), réparables, et même, pourquoi pas, résolument low-tech – ça va devenir tendance, vous ne saviez pas ? On privilégiera aussi les appareils produits dans des pays avec de fortes exigences réglementaires et une énergie décarbonnée… Le top du top ? Consommer français tout simplement !

Mieux encore : on évite le neuf, mais on se rue sur les objets de récup’ et d’occasion, les ressourceries et les sites spécialistes du reconditionnement.

Et puis, pour « amortir » l’appareil, on essaye de prolonger sa durée de vie au maximum… Alors on en prend soin. On ne le jette pas au moindre pépin (ni au moindre changement de mode), mais on essaye de le faire réparer. Concernant les ordinateurs, même chose, il est inutile de les remplacer tous les trois ou cinq ans ! Le gouvernement vous donne même sur son site une foule de petits conseils pour allonger leur durée de vie : défragmenter régulièrement, ne pas surchauffer sa pièce, préférer les disques durs SSD, et ainsi de suite…

Si toutefois on décide de se séparer d’un appareil, on pense à lui offrir une seconde chance. Par exemple, saviez vous qu’actuellement en France, au moins 30 millions de smartphones seraient en train de dormir dans des tiroirs ? Pourtant il suffirait de les vendre, les donner, ou même les rapporter en magasin (ce dernier à l’obligation de reprendre l’appareil pour le reconditionner ou le recycler)… Cela nous éviterait, sûrement, de racheter 30 millions d’appareils inutiles…

Le numérique pourra-t-il sauver la planète ? Peut-être pas. Mais son impact pourrait-être considérablement réduit (voir neutre) si nous apprenons à mieux l’utiliser. Bref, comme toujours, choisissons kikiconsomme le moins !

Si vous avez aimé notre article, découvrez les autres épisodes de la série « Kiki consomme le moins » !

Benjamin

concepteur-rédacteur

Publié le 09 février 2021

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